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L'atelier d'écriture clandestin
30 novembre 2007

Adieu les saints

J’avais à peine dix ans lorsque mon grand-père maternel est décédé. Je me rends compte que j’étais jeune pour pleinement appréhender ce que cela signifiait, mais j’avais néanmoins saisi que plus jamais je n’allais le revoir et qu’il avait cessé de vivre, de respirer, de bouger…

Au premier regard, son teint cireux et les cotons qu’il avait dans le nez m’avaient intrigué. Il était étendu sur le lit, les bras contre le corps, immobile alors qu’une légère odeur, m’évoquant la naphtaline, flottait dans la pièce.

La blessure qu’il s’était fait au front en tombant, terrassé par une crise cardiaque, avait été parfaitement dissimulée par le maquillage. « Il est mort avant d’avoir touché le sol », nous avait-on dit, peut-être pour rassurer les vivants, la grande crainte que nos proches puissent souffrir avant de s’éteindre avait été dissipée.

Je le regardais, muet de réflexion intérieure. On pensait que je me recueillais.

Je me souviens toujours de la difficulté et du ridicule pour sortir le cercueil du petit appartement où il logeait, lui qui était si grand. Le seuil des portes et l’angle étroits dans le couloir de son étage avaient obligé les porteurs à s’y reprendre à plusieurs reprises pour l’emmener au crématorium.

Ce fut dans cet endroit dont il ne me reste presque plus aucun souvenir que je retrouvai toute notre famille, venue pleurer ce cher disparu. J’étais le seul qui n’exprimait aucune peine ouvertement. « Il est trop jeune pour réaliser », songeait-on.

Et là, on me parla de lui, de ce grand-père que je connaissais bien, de ce qu’il avait fait autrefois, de quel homme merveilleux il était.

Les larmes me vinrent… Avais-je trop lutté pour les retenir ?

Pendant un long moment on me décrivit un homme incroyable, presque parfait, bon, généreux, un époux, un frère, un père ou un oncle formidable et ma seule réponse était des pleurs silencieux.

Nous fûmes enfin appelés pour assister à l’entrée du cercueil dans le four. Je ne sais plus trop ce que j’ai pu penser à cet instant précis. Les portes se refermèrent et les flammes jaillirent aussitôt. A travers le petit hublot, je voyais ce dernier instant tandis que tout le monde demeurait silencieux. Tout le monde devait songer à l’homme qui disparaissait enveloppé de centaines de degrés. Aux détails de cet être, à ses yeux, sa barbe, ses mains, son rire, sa voix grave et éraillée par l’âge qui devenaient cendres puis poussières.

Moi, moi je songeais à ce que l’on m’avait raconté sur lui. A cet homme exceptionnel qu’on m’avait dépeint. A cet homme que je n’avais jamais connu. Je me souviens parfaitement de mon grand-père mais celui que j’ai connu n’était pas aussi parfait que dans les descriptions des autres.

C’était un homme faillible, un homme parfois ingrat, parfois égoïste. Il avait été injuste avec moi et souvent il se mettait en colère pour un rien. Par la force, il tentait de me dresser, de me forger tel qu’il aurait aimé que je sois et tel que je ne voulais pas être. Chacun de ses défauts me revenait en mémoire.

Par quel étrange procédé, les vivants idéalisent-ils leurs morts ? Sont-ils prêts à oublier tous les heurts, tous les cris et toutes les peines infligées ? Chassés de leur conscience, il ne reste alors plus qu’un être purifié, comme si là est le seul véritable cadeau de la mort. Qu’il est hypocrite que nos cimetières soient ainsi peuplés de saints et non des salauds qui ont vécu…

Non grand-père, je me souviens de toi tel que tu étais. Je me souviens que tu étais homme, imparfait ; je me souviens de tes défauts, de tes erreurs, de tes mensonges. Je me souviens de toi avec exactitude, sans le moindre voile de connivence. Ce qui ne m’empêche pas de t’avoir aimé comme seul un petit-fils peut aimer. Et parfois je me demande si ce n’est pas moi qui suis le seul à véritablement honorer ta mémoire, le seul à avoir pleuré l’homme que tu étais vraiment, alors que les autres te changeaient en quelqu’un que tu n’étais pas.

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Commentaires
K
Merci à toutes les deux!<br /> <br /> Pour parler de ce texte et tenter de l'expliquer un peu, il y a clairement une part de vécu et quand même une bonne part d'imaginaire.<br /> <br /> J'essaie souvent d'atteindre deux objectifs quand j'écris un texte un peu sérieux.<br /> <br /> Le premier est de sonner "vrai". Le fait que je me sois un peu inspiré de vécu m'a fourni la substance nécessaire pour l'atteindre.<br /> <br /> Le second est de parvenir à toucher de façon universelle chaque lecteur et le pousser à réfléchir ou à provoquer chez lui un sentiment. Qu'il ne lise pas le texte et l'oublie aussitôt. Ayant placé pas mal de sentiments personnels lors de l'écriture, je suis heureux de voir que ça semble au moins un peu fonctionner. :)<br /> <br /> Ca faisait longtemps que je n'avais pas été "fier" d'un de mes textes...
D
Texte très émouvant, simple, donnant à réfléchir, partant d'une situation et d'un sentiment dans lesquels tout le monde peut se retrouver...tout simplement un des meilleurs textes que j'ai lu de toi ici! Bravo! :-)
A
ce que j'ai ressenti en lisant ce texte à fait remonter à la surface des sentiments vécus. la mémoire s'honore avec les meilleurs et les pires côtés d'une personne. il faut se souvenir de tt.<br /> au niveau style c'est simple à lire. je trouve que c'est parfait pr traiter ce sujet
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