Une seule défaite
34 victoires, une défaite.
Oui, je m’enorgueillis de pareil score : loin de démontrer l’excellence de mes compositions, il prouve que quiconque portant la plume comme un fleuret se dit écrivain. Ah ! Certes, certes, ils sont nombreux ces écrivailleurs duellistes de pacotille que j’ai passé au fil de mon verbe, ces plumitifs de dentelle qui n’eurent jamais le bout du doigt tâché d’encre.
Ainsi, Monsieur se croit poète ? Fi ! Comme tout un chacun ! A croire qu’il suffise d’aligner quelques figures de style en quarte, de parer d’une métaphore et la chose serait entendue ? Hé bien non, ces sots bretteurs ayant eu l’heur de me croiser ont désormais une belle estafilade à leurs rimailleries, croyez-moi !
Tel autre n’a pas la plus petite idée des règles élémentaires de rhétorique, de grammaire et surtout, surtout, d’orthographe… Diable ! Regardez-le exécuter de complexes passes d’art qu’il juge certainement ingénieuses alors qu’il n’a même pas pris le temps et la peine de maîtriser les bases. Tant de maladresses en si peu de mouvements et il voudrait qu’on l’applaudisse ? Ma foi, je l’ai rossé, voilà tout…
Et untel ? Apprenez qu’il écrit, pour sa plus grande fierté, des articles. Des articles, la belle affaire ! Il assemble tant de bottes pompeuses et de phrases précieuses que le bâillement ne manque de me saisir à chaque lecture. Lui aussi eut droit à une belle rouste…
Quant à celui-ci, il diffuse ses écrits à tout va sur la toile. Cela tombe bien : il est le seul à y trouver de la valeur. Mais si le fond n’était pas sans intérêt, peut-être aurais-je quelque indulgence envers la forme : pourquoi autrement ponctuer des plus laides couleurs de l’arc-en-ciel ses écrits si ce n’est pour tenter d’en masquer la médiocrité ? La suite n’est que lolation et mendicité de commentaires… Je vous le dis tout net : le fer et l’hémistiche tirés, ils ne feront pas même une touche, devrions-nous multiplier les envois…
34 victoires, une défaite. Les Muses furent mes témoins, Monsieur.
Oui, une défaite. Une seule défaite. Laquelle ? Cela, Monsieur, cher lecteur, mon ami, cela non, je ne peux. Laissez le gentilhomme que je suis garder sa noblesse : il est des secrets qui ne se révèlent pas, des défauts dans sa cuirasse de prose que l’on ne doit pas exposer.
Mais revenez au crépuscule de mon œuvre, dans cette injuste et dégradante vieillesse, peut-être alors vous le conterai-je…