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L'atelier d'écriture clandestin
3 mars 2007

une urgence dans l'écriture

Une chambre est comme l’antre d’une certaine vacuité. L’antre d’un horrible ventre blanc qu’il faut absolument remplir. J’ai, non pas la tête pleine d’un mal non désiré, mais d’un vide que par paresse certaine, j’accepte et que j’accepte avec encore moins de résistance que je suis sans force. Las serait le juste mot pour qualifier mon état actuel.

En ce moment, je suis allongé sur un lit désespérément blanc dans une chambre que je ne reconnais pas. A vrai dire, il n’y a rien que je reconnaisse en moi, tellement je me sens disloqué mais d’une manière un peu indifférente. Je me sens quelque peu vacillant, versatile dans mes intentions, je sens, confusément certes, que j’ai encore à justifier ma présence dans cette pièce inconnue. Serait-ce un excès de boisson qui m’a conduit ici dans cette minuscule alcôve ou un long voyage dont un douloureux jet-lag serait le prix à payer ? Je ne sais et je m’en fous. Mais je sens cependant que d’une certaine manière je me dois d’être accepté. Comprenne qui pourra.

Je parcoure d’une façon circulaire ce qui m’entoure et remarque la vétusté des objets qui composent le décor. Au loin, à dire vrai, à peine au bord du lit, tant tout ici semble petit, je remarque une chaîne hi fi d’un âge certain qui semble posé comme un bibelot ou une relique sans âme, sur un meuble solide et d’un beau bois brun que j’entraperçois enfin. Quand on a rien à faire d’autres que de récupérer quelques forces mentales, il est des gestes que l’on ne s’explique pas. Ainsi, pourquoi, alors que tout me portait à me reposer encore ou, qu’aux Dieux, un tel souhait leur plaise, je me fasse monter un petit remontant, une pitance pour un voyageur hors du temps, pour ne pas dire hors de son temps, je sors de mes draps qui me paraissent bien tendres à présent et me penche doucement.

Un disque est déjà placé sur le plateau et cela me rappelle des souvenirs cotonneux. Des images grands formats. Des craquements qui ponctuaient de pures merveilles. Une aiguille qui timidement s’engageait dans un noir sillon. Je suis un rien curieux. Le précédent locataire aurait-il oublié ce disque ? J’en aperçois la couverture posée là aussi, pas bien loin sur ce meuble, dans la pénombre ensommeillée.

Dans ce doux moment de torpeur, j’imagine plutôt que je ne vois la silhouette d’une femme sur fond de désert. Un plus petit personnage complète le tableau. Je lève l’aiguille et enclenche le disque. Je me rallonge sur le matelas moelleux. Je me laisse aller.

Car se laisser ainsi s’ouvrir à une œuvre est une expérience unique, je le pressens. Car ce qui me frappe le plus dans cette musique lugubre et pourtant si expressive qui affleure à présent, c’est la pureté des compositions. C’est aussi la présence incessante de cette orgue qui semble, tout comme moi, intemporel. J’apprendrai plus tard, qu’il s’agit d’un harmonium et que j’ai pour la première fois entendu la voix spectrale de Nico (*). Et par le même dérangement d’idées qui m’habitaient à l’instant, je me rappelais aussi la beauté de certains autres artistes qui ont chanté si merveilleusement leur univers si personnel, avec une telle acuité, une telle justesse de tons que j’en aurais presque pleuré. Quand Nico chante la rivière de déception, elle chante aussi l’allégresse qui s’en dégage, la beauté fragile de l’enfant qui est seul et d’une si belle solitude et n’est-ce pas ce que nous, nous qui n’avons que nos pauvres mots à notre dispositions, tentons de décrire, ce qui touche au plus vrai des choses, c’est à dire en somme, ce qui en est indescriptible ?

Je pense à l’instant à cette envolée de violons qui annonce Cinder Alley, assurément le plus beau morceau de David Eugene Edwards (**) qui nous parle le verbe si haut, la sainte Bible à la main. Et moi, qui à l’instant à peine, allait sombrer le disque achevé à présent, je sens comme une urgence naître en moi. Oui, il ne faut pas laisser passer ces moments rares ! Non, même si nous n’avons que de pauvres, de maigres mots pour décrire nos sensations, même si nous n’avons que ces frêles armes pour atteindre nous-aussi de si beaux sommets, nous avons à le faire. Nous ne sommes là que pour décrire la beauté que d’autres ont si bien chanté. Et si écrire est si cruel dans sa pleine vanité, c’est qu’elle fait partie du combat de ceux qui désirent élever un peu plus leurs âmes et jouir comme Nico, comme David, comme tant d’autres esprits qui, bénits par la Muse, ont frôlé les Dieux. Ecriture vaine et vains combats. Il y a peu, j’en étais à dormir, à présent, il faut que je sorte. Il faut que je me remette à l’ouvrage, il n’y a plus de temps à perdre, à répandre, oui !, à disperser, oui encore ! Mais nous avons à nous presser. Alors, hâtons-nous, jeunes gens, hâtons-nous !

(*) je pensais à Desert Shore de Nico : 1970

(**) je pensais au 3e morceau, Cinder Alley, du meilleur disque de 16 Horsepower, Secret South. Les allusions au divin ne sont pas gratuites. D.E.E. est un chrétien convaincu.

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Commentaires
K
J'ai tenté de trouver la musique pour coller au texte et mieux le ressentir:<br /> Nico - Desert Shore:<br /> http://www.cduniverse.com/search/xx/music/pid/1512487/a/Desertshore.htm<br /> <br /> 16 Horsepower - Secret South:<br /> http://www.last.fm/music/16+Horsepower/Secret+South<br /> <br /> Texte intéressant... et pour l'instant le meilleur que tu aies pu écrire, selon moi.<br /> <br /> Le mélange musique/réflexion fonctionne bien.<br /> <br /> Peut-être malheureusement un peu de lourdeur dans certaines phrases qui partent en réflexion: il faudrait les reprendre pour les rendre plus fluides, plus légères à lire tout en étant profondes, bref qu'elles "coulent" mieux...<br /> <br /> J'espère, en tout cas (contrairement à toi ;) ) que par l'écrit, les écrivains parviennent tout autant que les musiciens à toucher au sublime, que leurs armes ne sont pas si pauvres que cela. Après tout, la musique peut envoûter mais l'écrit aussi et de plus, il est plus propice à toucher le lecteur, à le faire réfléchir... Il dispense l'émotion, il parle à l'âme; il intéresse le lecteur au point de pouvoir le changer.<br /> <br /> Cette réflexion, le thème que tu as développé, me rappelle un passage des "Lettres à un jeune poète" de Rainer Maria Rilke que je conseille à tout aspirant poète ou écrivain de lire afin de réaliser, de comprendre, d'assimiler pleinement sa vocation.<br /> <br /> "Vous demandez si vos vers sont bons. Vous me le demandez. Vous l'avez déjà demandé à d'autres. Vous les envoyez à des revues. Vous les comparez à d'autres poèmes, et vous vous inquiétez si certaines rédactions refusent vos tentatives.<br /> <br /> Hé bien (...) je vous prie de renoncer à tout cela. Vous regardez vers le dehors, et c'est là précisément ce que vous devriez ne pas faire aujourd'hui.<br /> <br /> Personne ne peut vous conseiller ni vous aider, personne. Il n'est qu'un seul moyen. Rentrez en vous-même. Cherchez la raison qui, au fond, vous commande d'écrire; examinez si elle déploie ses racines jusqu'au lieu le plus profond de votre coeur; reconnaissez-le face à vous-même: vous faudrait-il mourir s'il vous était interdit d'écrire?<br /> <br /> Ceci surtout: demandez-vous à l'heure la plus silencieuse de votre nuit: dois-je écrire?"<br /> <br /> Etc, etc.<br /> <br /> Toute cette lettre pourrait être citée tant elle exprime parfaitement le besoin, "l'urgence" d'écrire. Donc oui, hâtons-nous d'écrire car sinon on oublie trop souvent, le travail aidant, la vie aidant, le manque de temps aidant, à quel point cette chose compte pour nous...
S
Ici, le but n'est pas de dire ou préciser au mieux la chose mais de laisser un espace ouvert à l'imaginaire et donc au positionnement du lecteur. On est pas dans le flou intégral car il y a des balises quand même, on est pas dans un délire, on est dans la suggestion. Le texte poétique permet à la fois l'impensable : exprimer très exactement et/mais aussi... exprimer de l'insondable, de l'infondé.<br /> <br /> Comme déjà écrit : je n'ai pas choisi d'écrire comme ça; d'ailleurs, je me rattrape dans mes nouvelles. Mais si tu te rappelle tes cours de littérature, hum hum, on ne disait pas littérature mais poésie ou poétique. La poésie englobait tout l'écrit !<br /> <br /> C’était la reine de l'écrit, l'écrin du scripteur, celle auquelle on pensait en premier lieu car justement la plus ajustée pour exprimer l'inexprimable. une forme d'écriture qui est à l'opposé de notre civilisation actuelle, me semble-t-il et qui mérite de vivre encore quelques années - soyons optimiste, pour une fois, lol
L
Bonjour,<br /> Bon le monsieur m'a expliqué le texte tout simplement... C'est Exactement ce que je pensais! En gros les images que j'avais en tête d'un type sur son pieux qui a du mal à émerger, une vague impression de musique... Bref comme pour les poèmes, on joue dans le dit et le non dit, c'est intéressant. On sait jamais trop si on est pile dans ce que tu veux dire ou pas ... Pour le coup j'y étais :p
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