une urgence dans l'écriture
Une chambre
est comme l’antre d’une certaine vacuité. L’antre d’un horrible ventre blanc
qu’il faut absolument remplir. J’ai, non pas la tête pleine d’un mal non
désiré, mais d’un vide que par paresse certaine, j’accepte et que j’accepte
avec encore moins de résistance que je suis sans force. Las serait le juste mot
pour qualifier mon état actuel.
En ce
moment, je suis allongé sur un lit désespérément blanc dans une chambre que je
ne reconnais pas. A vrai dire, il n’y a rien que je reconnaisse en moi, tellement
je me sens disloqué mais d’une manière un peu indifférente. Je me sens quelque
peu vacillant, versatile dans mes intentions, je sens, confusément certes, que
j’ai encore à justifier ma présence dans cette pièce inconnue. Serait-ce un
excès de boisson qui m’a conduit ici dans cette minuscule alcôve ou un long
voyage dont un douloureux jet-lag serait le prix à payer ? Je ne sais et
je m’en fous. Mais je sens cependant que d’une certaine manière je me dois
d’être accepté. Comprenne qui pourra.
Je parcoure
d’une façon circulaire ce qui m’entoure et remarque la vétusté des objets qui
composent le décor. Au loin, à dire vrai, à peine au bord du lit, tant tout ici
semble petit, je remarque une chaîne hi fi d’un âge certain qui semble posé
comme un bibelot ou une relique sans âme, sur un meuble solide et d’un beau bois brun que j’entraperçois enfin.
Quand on a rien à faire d’autres que de récupérer quelques forces mentales, il
est des gestes que l’on ne s’explique pas. Ainsi, pourquoi, alors que tout me
portait à me reposer encore ou, qu’aux Dieux, un tel souhait leur plaise, je me
fasse monter un petit remontant, une pitance pour un voyageur hors du temps,
pour ne pas dire hors de son temps, je sors de mes draps qui me paraissent bien
tendres à présent et me penche doucement.
Un disque
est déjà placé sur le plateau et cela me rappelle des souvenirs cotonneux. Des
images grands formats. Des craquements qui ponctuaient de pures merveilles. Une
aiguille qui timidement s’engageait dans un noir sillon. Je suis un rien
curieux. Le précédent locataire aurait-il oublié ce disque ? J’en aperçois
la couverture posée là aussi, pas bien loin sur ce meuble, dans la pénombre
ensommeillée.
Dans ce
doux moment de torpeur, j’imagine plutôt que je ne vois la silhouette d’une femme
sur fond de désert. Un plus petit personnage complète le tableau. Je lève
l’aiguille et enclenche le disque. Je me rallonge sur le matelas moelleux. Je
me laisse aller.
Car se
laisser ainsi s’ouvrir à une œuvre est une expérience unique, je le pressens.
Car ce qui me frappe le plus dans cette musique lugubre et pourtant si
expressive qui affleure à présent, c’est la pureté des compositions. C’est
aussi la présence incessante de cette orgue qui semble, tout comme moi,
intemporel. J’apprendrai plus tard, qu’il s’agit d’un harmonium et que j’ai
pour la première fois entendu la voix spectrale de Nico (*). Et par le même
dérangement d’idées qui m’habitaient à l’instant, je me rappelais aussi la
beauté de certains autres artistes qui ont chanté si merveilleusement leur
univers si personnel, avec une telle acuité, une telle justesse de tons que j’en aurais presque pleuré. Quand Nico
chante la rivière de déception, elle chante aussi l’allégresse qui s’en dégage,
la beauté fragile de l’enfant qui est seul et d’une si belle solitude et
n’est-ce pas ce que nous, nous qui n’avons que nos pauvres mots à notre
dispositions, tentons de décrire, ce qui touche au plus vrai des choses, c’est
à dire en somme, ce qui en est indescriptible ?
Je pense à
l’instant à cette envolée de violons qui annonce Cinder Alley, assurément le
plus beau morceau de David Eugene Edwards (**) qui nous parle le verbe si haut,
la sainte Bible à la main. Et moi, qui à l’instant à peine, allait sombrer le
disque achevé à présent, je sens comme une urgence naître en moi. Oui, il ne
faut pas laisser passer ces moments rares ! Non, même si nous n’avons que
de pauvres, de maigres mots pour décrire nos sensations, même si nous n’avons
que ces frêles armes pour atteindre nous-aussi de si beaux sommets, nous avons
à le faire. Nous ne sommes là que pour décrire la beauté que d’autres ont si
bien chanté. Et si écrire est si cruel dans sa pleine vanité, c’est qu’elle
fait partie du combat de ceux qui désirent élever un peu plus leurs âmes et
jouir comme Nico, comme David, comme tant d’autres esprits qui, bénits par la
Muse, ont frôlé les Dieux. Ecriture vaine et vains combats. Il y a peu, j’en
étais à dormir, à présent, il faut que je sorte. Il faut que je me remette à
l’ouvrage, il n’y a plus de temps à perdre, à répandre, oui !, à
disperser, oui encore ! Mais nous avons à nous presser. Alors,
hâtons-nous, jeunes gens, hâtons-nous !
(*) je
pensais à Desert Shore de Nico : 1970
(**) je pensais au 3e morceau, Cinder Alley, du meilleur disque de 16 Horsepower, Secret South. Les allusions au divin ne sont pas gratuites. D.E.E. est un chrétien convaincu.