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L'atelier d'écriture clandestin
19 mars 2007

Un beau matin d'automne

Monsieur Cancoix était un petit vieux bonhomme tout ridé, desséché et grincheux, qui passait son temps à se plaindre du monde. Son café n’était jamais assez chaud, son yaourt assez frais, ses voisins faisaient toujours trop de bruit et à la télé, c’était tous des abrutis. D’ailleurs, monsieur Cancoix ne ratait pas une seule occasion de faire part de ses remarques acerbes et sarcastiques à tous ceux qui avaient eu le malheur de le croiser.

Mais son occupation préférée était d’écrire des lettres. Non pas des billets tendres à ses proches pour s’enquérir de leur santé, mais des pages remplies de haine et de mépris qu’il adressait à de parfaits inconnus. Il aimait imaginer la tête de ces personnes qu’il ne connaissait pas, quand elles recevraient ses lettres pleines d’insultes et d’affreuses grossièretés, ainsi que leur colère quand elles se rendraient compte que leur expéditeur jouissait d’un anonymat impuni.

Ce beau matin d’automne, monsieur Cancoix a comme d’habitude déversé toute la méchanceté boueuse de son âme sur des feuilles jadis blanches et innocentes puis, tout en feuilletant les pages jaunes, il a fermé les yeux. Il adorait le moment où son doigt s’abattait au hasard sur le nom et l’adresse de la prochaine victime. Un peu plus tard, il s’est rendu avec satisfaction à la poste où il a fait partir une dizaine de lettres malveillantes et en a profité pour insulter tous les passants horrifiés sur son chemin.

La journée commence bien, a-t-il pensé. Il s’est appuyé sur son bâton pour se hâter de rentrer chez lui. Mais en se rapprochant de son immeuble, il a vu quelque chose d’étrange. Et un peu inquiétant. Presque effrayant, même.

Des dizaines de personnes jalonnaient la rue comme des colosses silencieux et menaçants. Il s’est encore rapproché. Il pouvait maintenant voir le visage de ces hommes et ces femmes, visage tendu, sérieux et renfrogné. Ils l’ont encerclé. Il était vieux et petit et ridé et bientôt, leurs corps l’ont coincé entre eux sans qu’il puisse faire un seul pas de plus. Ils vont m’abattre, me frapper, me rouer de coups, s’est-il dit.

Mais juste au moment où il se préparait à une mort douloureuse et imminente, une jeune fille a sorti de sa poche une lettre et la lui a tendu. Et ensuite un autre homme a fait pareil. Puis un autre. Et encore un autre. Chaque personne sur le chemin vers son immeuble lui a donné une lettre. Et il lui a semblé qu’avec chacune d’entre elles, il s’abaissait et se tordait un peu plus, et se cognait contre le sol, comme un boxer dans le ring qui se bat de ses dernières forces...

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Commentaires
K
J'avais pleinement adhéré à l'idée du texte lorsque Dancca m'en avait parlé; le texte maintenant écrit, je suis toujours autant impressionné.<br /> <br /> L'idée est excellente et, comme Pargias, je suis tenté de voir des lettres amicales en réponse à toute cette haine. Avoir laissé ouverte cette possibilité fait tout le charme de ce texte.<br /> <br /> Le personnage central, de méprisable (mais avec un soupçon de caricature qui le rend humoristique) devient potentiellement sympathique: sous ce vernis de méchanceté, on devine le vieil homme qui se "venge" de la vie comme il peut. D'où le fait que les lettres en retour puissent être des lettres d'amitié. Et d'où le fait que je trouve logique qu'il "s'effondre" (>Lesendar) aussi vite...<br /> <br /> Belle façon de tordre le coup au thème d'ailleurs. "L'écriture est un sport de combat", les lettres sont autant de coups de poing venant d'un boxer métaphorique.<br /> <br /> Texte certes court mais bien écrit, avec juste ce qu'il faut et parfaitement structuré: le récit suit une logique implacable jusqu'à atteindre son but.<br /> <br /> Sinon Monsieur Cancoix = Monsieur Quincampoix d'Amélie Poulain? Très drôle d'avoir pris le nom d'un personnage plutôt gentil pour en faire un méchant... :)
A
je disais donc hier que j'ame bien ce texte. ce vieux grincheux qui déverse sa frustration sur les autres et se retrouve finalement oppressé par la masse.j'adore.mais j'aurais aussi voulu savoir comment ces gens ont retrouvé l'expéditeur mystérieux...<br /> en dehors de ça j'aime bien ton style simple et abordable.
D
Justement, il n'y a aucune différence entre les lettres d'amour et les lettres de haine : c'est tout un.<br /> <br /> J'ai bcp aimé le texte, dont l'intrigue est réussie dans la mesure où elle nous tient en haleine comme des chiens en rut.<br /> <br /> Sérieusement, je trouve que l'intrigue tient la route. Oui, ça pourrait être plus long, ça pourrait tjrs être plus long, ou plus court, mais le texte, en tant que quel, ne me pose pas de problème.<br /> <br /> Au contraire !
P
Très sympa comme texte, agréable à lire et bien construit. Je peux presque imaginer qu'au lieu de lettres de haine, ce sont des lettres remplies de mots d'amouret de bonté qui lui sont tendues, et que cela pourrait bien lui faire autant de mal que si on lui rendait coup pour coup avec des lettres de haine !
S
"Mais juste au moment où il se préparait à une mort douloureuse "<br /> <br /> Tu as raison évidemment. Il se prépare à une mort douloureuse mais elle n'est finalement que psychologique. Peut-être que c'était un lapsus de ma part : je le voulais mort, ce vieux pervers, lol<br /> <br /> Oui, j'avoue que le lien entre les lettres, la mort et le combat, etc., je n'aurais pas capté sans ton explication. Mais bon, le thème est plus un déclencheur d'idées qu'autre chose. Chacun l'incorpore dans son imaginaire et puis, comme je dis "ça roule". <br /> <br /> Toi aussi, tu ponds ça très vite et tu l'envoies avec juste un peu de toilettage ou bien tu travailles bcp tes textes ? Encore qu'on peut pondre très vite un texte et le retravailler bien plus longtemps ou encore, pondre laborieusement et retravailler le texte tout aussi laborieusement, etc. : c'est une question faussement simple...
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